Et si on supprimait l’entretien annuel ? Solution et mise en place

J’ai décrit dans l’article précédent quel était le problème de l’entretien annuel et pourquoi celui-ci ne motivait les employés qu’à court ou moyen terme. Je vais dans cet article vous présenter la solution (la présentation ici) que j’ai proposée pour le concours et qui reprend quelques principes du management 3.0. Celle-ci s’articule selon les 3 axes suivants; la bienveillance, l’apprentissage et l’innovation. Mais pour que cette dernière puisse s’appliquer avec succès, il est nécessaire qu’elle soit alignée avec les valeurs de l’entreprise, les ressources humaines, le management et il est indispensable de donner du sens à sa mise en place. Pour être efficace sur le long terme, la solution doit satisfaire les motivations intrinsèques des employés ou les ancres motivationnelles telles que décrites dans la théorie des facteurs clés de la motivation. Voici donc les 3 piliers de la solution :

La bienveillance

« Le plaisir attaché à la bienveillance ne peut devenir l’objet d’un calcul égoïste, ce plaisir n’est attaché qu’à l’affection désintéressée. » Victor Cousin ; La philosophie écossaise (1862)

En se basant sur le management 3.0, j’ai proposé de mettre une cagnotte virtuelle à disposition des employés, que chacun d’eux peut distribuer à des collègues afin de les remercier pour un acte ou une action. Les personnes peuvent ainsi collecter des points de bienveillance et celle qui arrive en tête du classement à la fin d’une période donnée, a la possibilité de tirer au dé le fait de pouvoir échanger ses points contre une somme d’argent définie à l’avance ou un ensemble de services. Lors de la période en question, le classement est affiché sur un écran (exemple de disposition ci-contre) afin de rendre publique les remerciements attribués à chacun. 2017-02-22-00_05_46-bienveillanceCet outil permet donc de satisfaire le désir de reconnaissance, le désir d’appartenance, le fait de travailler avec des collègues bienveillants et l’engagement sociétal et humain basé sur le bien-être des autres. Comme expliqué dans l’article Gamification 3.0, le caractère aléatoire de la récompense permet de limiter l’accoutumance et son montant doit aussi être fixé afin d’éviter que la motivation pour celle-ci ne vienne se substituer à la motivation pour les tâches à effectuer. Ces paramètres sont à définir lors de la mise en place de la solution par la population concernée. Pour imager l’utilisation de cet outil, prenons l’exemple d’un employé qui effectue des heures supplémentaires pour terminer son travail ou pour aider un collègue. Celui-ci pourra recevoir des points de son manager direct ou de ses collègues pour son effort ou pour l’aide apportée. Il n’y a pas de hiérarchie dans ce système et tout le monde est traité également.

Pour ceux qui penseraient que la solution instrumentalise la bienveillance, je réponds qu’un compliment et un remerciement ont toujours un effet bénéfique lorsqu’ils sont sincères.

L’apprentissage

« I never lose, I either win or learn »Nelson Mandela

Toujours selon le management 3.0 et toujours basé sur une cagnotte virtuelle. Chaque employé va pouvoir attribuer des points à différents événements pour qualifier le niveau d’apprentissage lié à l’événement. Cet événement peut être de différentes nature :2017-02-22-00_07_53-apprentissage

  • un échange informel avec un collègue
  • une présentation
  • une formation
  • un échec
  • chaque occasion qui permet d’apprendre…

Les points distribués aux événements vont s’accumuler sur la période de référence et être mesurés à l’aide d’une jauge. Lorsque le nombre de points dépasse un certain niveau fixé à l’avance, alors ceci débloque une récompense collective afin de célébrer le fait d’avoir appris. La récompense peut être par exemple une soirée sponsorisée par l’entreprise. Cet apprentissage et cette connaissance permet aux collaborateurs de se développer et de progresser dans son travail. Les points attribués à un événement sont affichés publiquement via un écran et donc contrôlés par tous. Ceci permet d’éviter les attributions abusives.

L’Innovation

« Toute personne qui n’a jamais commis d’erreurs n’a jamais tenté d’innover. » Albert Einstein

Pas de cagnotte virtuelle ici mais la possibilité de proposer des projets à la société qui seront étudiés par un groupe de personnes tirées au 2017-02-22-00_10_14-innovationsort parmi les employés. Ceux-ci ont la charge de déterminer la viabilité du projet et la responsabilité de remonter ce dernier à des instances dirigeantes afin d’allouer des fonds et des ressources pour la réalisation de ces derniers. Plusieurs sociétés ont déjà mis en place différentes techniques pour provoquer et soutenir l’innovation; chez Google, du temps est alloué pour l’innovation et plusieurs entreprises favorisent aussi l’intraprenariat. Je n’ai pas défini de solution spécifique ici et laisse la liberté aux employés de choisir une solution au cas par cas. Si plusieurs projets sont susceptibles d’être financés, alors le sponsor ou les équipes dirigeantes peuvent trancher et prioriser les projets. Cet outil permet aux employés de satisfaire leur besoin de challenge et d’innovation.

Et la progression des salariés ?

Ces trois axes permettent de renforcer le sentiment d’appartenance et l’autonomie des collaborateurs mais ne remplacent pas le management ou les ressources humaines. On peut même se demander comment ces trois axes si ils motivent les employés leur permettent de progresser. En fait le système garde une trace  (informatique) factuelle de la progression et des actions du salarié dans l’entreprise. Celui-ci peut effectuer une demande d’augmentation et les ressources humaines peuvent se fier à ces faits pour décider ou non de récompenser le salarié. Ces informations sont une aide à la décision comme l’est l’entretien annuel mais il ne remplace pas une intervention humaine. Les collaborateurs ne sont plus jugés sur leurs résultats mais sur leur comportement qui va à moyen terme générer des effets positifs sur l’entreprise.

La solution ne permet pas de déterminer des objectifs pour les collaborateurs car chacun est responsable de se fixer ses propres objectifs et moyens de progression. Cette décision appartient à chaque employé et chacun d’eux peut se montrer force de proposition concernant son plan de carrière.

La mise en place de la solution

Enfin pour terminer, la mise en place et la gestion de la solution fait partie intégrante de la solution. Celle ci représente un projet ou l’aventure qui va permettre de fédérer les employés ou les collaborateurs d’une entité afin de construire une solution qui leur ressemble et à laquelle ils adhéreront.

Voici les grandes lignes de la mise en place du système :

  1. Mettre en place un écosystème bienveillant et donner du sens.
  2. Trouver un sponsor pour soutenir la mise en place de la solution et un groupe de personnes motivées pour la porter.
  3. Déployer la solution petit à petit en validant les hypothèses avec des MVPs (cf MVP et Design Sprints).
  4. Faire évoluer la solution au fur et à mesure afin de la garder toujours alignée avec les motivations des employés.
  5. Suivre la motivation et l’engagement des employés avec des indicateurs.

Comme déjà évoqué, le système n’a pas pour but de remplacer les ressources humaines ou les managers. La solution indique juste des directions et décrit des outils pour motiver les employés. Afin que sa mise en place se traduise par un succès, il est nécessaire que les valeurs de l’entreprise soient clairement définies et se retrouvent alignées avec les 3 axes précédemment décrits. Il faut ensuite clairement expliquer la démarche dans laquelle s’inscrit cette substitution de l’entretien annuel afin de pouvoir trouver un sponsor qui la portera au sein de l’entreprise ou qui permettra du moins de l’expérimenter sur un groupe de personnes restreint.

La seconde étape consiste à trouver des personnes motivées pour s’occuper de mettre en place, de lancer le système. Ce premier groupe de personnes pourra par exemple, réfléchir à la définition du système : les nombres de points, la durée d’une période de référence, les indicateurs, les seuils… expliquer et communiquer autour de la solution… Il est toujours plus facile de trouver des personnes motivées que d’essayer de convaincre des collaborateurs qui ne croient pas dans la solution à cause de la courbe du changement qui demande beaucoup de temps et d’énergie. De même, afin de s’assurer que le système sera adopté par les futures employés, il peut être mentionné lors des entretiens d’embauche afin d’évacuer toute ambiguïté.

le système peut être mis en place simplement et de manière progressive, sur le périmètre et sur les groupes d’employés concernés :

  • La solution peut comporter peu de fonctionnalités pour commencer et être déployée en utilisant des fichiers partagés entre plusieurs employés. Puis celle-ci pourra évoluer et s’enrichir grâce à divers ateliers et MVP qui testeront les hypothèses effectuées sur la motivation et l’engagement des employés. Avant de construire un système ou une application informatique qui permette de garder une trace objective des différentes actions, le système pourra par exemple être mis en place avec des fichiers partagés (ex Google doc).
  • Il n’est pas obligatoire de déployer les 3 outils de manière simultanée. la solution concernant la bienveillance peut par exemple être utilisée tout en gardant l’entretien annuel dans un premier temps afin de s’assurer que la démarche fonctionne
  • Toute l’entreprise n’a pas besoin d’adopter la solution en même temps. Celle-ci peut être appliquée sur un service ou département pour se propager ensuite aux autres entités de l’entreprise. De même chaque groupe de personnes peut déployer sa propre version du système. Les seuils, les périodes de temps, la quantité de points n’ont pas besoin d’être identiques entre les différents groupes.

Tous les employés doivent s’approprier le système, se sentir impliqués, en garder le contrôle pour l’adapter. C’est la raison pour laquelle je propose que chacun s’occupe de gérer et de faire évoluer le système à tour de rôle afin de responsabiliser le plus grand nombre. Un groupe de personnes sera donc tiré au sort pour s’occuper de gérer la solution pendant une période donnée. Ce groupe pourra améliorer le système en mode Lean en validant simplement des hypothèses sur la solution avec des MVP et en évaluant des indicateurs sur celle-ci. Si la solution n’est pas adoptée par les employés, il n’est pas utile de la garder.

Enfin le système se base sur la bonne foi de ceux qui y participent mais garde un historique de toutes les actions et comportements positifs. Il récompense l’attitude et non directement les résultats car ce sont bien les attitudes positives qui auront à court ou moyen terme des effets sur les résultats…

J’ai été heureux que mon dossier ait été sélectionné et d’avoir pu le défendre chez ANEO lors d’une soutenance même si celui-ci n’a malheureusement pas retenu l’attention du Jury. J’attends maintenant la possibilité de partager de nouveau sur cette solution et suis curieux de connaître les gagnants du concours lors d’une prochaine soirée chez ANEO

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Et si on supprimait l’entretien annuel ?

C’est le défi que s’est lancé ANEO , une ESN libérée d’environ 200 personnes. Afin de pouvoir récolter le maximum d’idées, l’équipe « rémunération » a lancé un concours en décembre dernier pour faire appel à l’intelligence collective. La question semble assez simple « comment remplacer l’entretien annuel dans le processus de rémunération ? ». Les termes du concours consistèrent dans un premier temps à soumettre un dossier et dans un deuxième temps, après sélection, à soutenir ce dernier devant un jury composé de dirigeants, associés, directeurs RH, directeurs de projets…d’ANEO.

J’écris aujourd’hui quelques lignes sur le sujet car j’ai participé au concours et pu soutenir mon dossier devant le jury et je souhaitais partager mon expérience ainsi que les idées que j’ai défendues; celles-ci sont dans la lignée des articles sur la motivation que j’ai rédigés précédemment. J’étais donc enthousiaste pour participer au concours et partager mes idées et convictions avec des personnes intéressées par le sujet. J’ai donc envoyé un document décrivant une solution et c’est celle-ci que je vais présenter dans une série de deux articles traitant du problème et de la solution proposée.

J’ai articulé ma démarche en 3 étapes :

  • La première est l’étude du problème : pourquoi l’entretien annuel ne fonctionne-t-il pas ? Quel était sa finalité ? Pourquoi avait-il été mis en place ? Pour qui ? Quelles sont les motivations des employés ?
  • La seconde est la solution : Que pouvons-nous proposer pour répondre aux besoins des employés ? Pour les motiver ?
  • La dernière qui fait partie de la solution et que je considère comme la plus importante est comment mettre en place les éléments développés dans le point précédent.

Intéressons nous donc pour commencer à l’entretien annuel. Cette pratique s’est largement développée à la fin du siècle dernier et consiste à rencontrer l’employé une fois par an afin :

  • d’évaluer les réalisations sur l’année de l’employé.
  • d’évaluer l’atteinte des objectifs définis lors de l’entretien annuel précédent.
  • d’évaluer les compétences et qualifications.
  • de définir de nouveaux objectifs SMART pour l’année à venir.
  • d’envisager une augmentation de salaire ou/et un changement de qualification.

En se basant sur les points précédents, on peut donc définir que l’entretien annuel serait un outil qui sert, à motiver ou remotiver l’employé en lui demandant ce qui lui a plu dans son travail et ce qu’il aimerait faire; en le récompensant pour ses actions. Afin de préparer cette réunion, on demande à l’employé de remplir  un dossier pour aider la personne qui le rencontre, à évaluer/définir les points ci-dessus avec lui. Dans une version un peu différente de l’entretien annuel, les collaborateurs (hiérarchique ou subordonnées) de cet employé sont aussi interrogés pour donner leur avis; on appelle ce genre d’entretien, l’entretien 360°.

Or la très tristement célèbre étude Gallup, même si elle date de 2012 fait état d’un désengagement de plus de 90% des salariés français vis à vis de leur entreprise. Si on considère que l’un des buts de l’entretien annuel est d’engager et de motiver les employés pour l’année à venir, on ne peut pas affirmer que c’est un succès. D’ailleurs, plus personnellement et en écoutant autour de moi, j’ai pu constater dans de nombreuses entreprises que l’entretien est souvent une formalité administrative qui au mieux permet de motiver les employés à court terme grâce à une augmentation et au pire les stresse et les démotive quand il n’ont rien reçu.

L’entretien annuel ne fonctionnerait donc pas ? Les augmentations de salaire ne seraient donc pas un facteur de motivation suffisant ?

Plusieurs chercheurs et scientifiques se sont penchés sur la questions et ont mené des expériences pour connaître l’impact d’une récompense monétaire sur les tâches ou travaux à exécuter. La première expérience est celle des cubes Soma menée par Edward DECI en 1969 et décrite dans le livre de Daniel Pink « la vérité sur ce qui nous motive« .  La conclusion de cette expérience est que la motivation par l’argent peut diminuer l’intérêt pour l’activité pour laquelle elle est utilisée. La seconde expérience qui est l’expérience de la bougie et qui été menée par Sam Glucksberg démontre que l’incitation par l’argent peut être contre-productive dans les activités faisant appel à la créativité. D’une manière plus générale, Daniel Pink par plusieurs exemples, nous apprend que la carotte et le bâton peuvent :

  • annihiler la motivation intrinsèque
  • réduire la performance
  • empêcher la créativité
  • décourager la bonne conduite
  • inciter à tricher, à simplifier et à agir contrairement à la morale
  • engendrer une accoutumance
  • favoriser un raisonnement à court terme

Cependant, dans certains cas précis cette source de motivation peut s’avérer efficace : pour toutes les tâches mécaniques qui demandent peut de réflexion et dont la productivité est en rapport directe avec la rémunération.

Si l’argent n’est pas la motivation principale des employés, nous pouvons alors nous demander quels sont les éléments qui sont des sources de motivation et d’engagement pour ces derniers. Encore une fois, de nombreux chercheurs ont creusé la question et les expériences ont permis de définir différentes théories. En voici quelques unes qui ont retenu mon attention :

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  • Le Taylorisme : c’est l’organisation scientifique du travail. La motivation est la conséquence du salaire et ne tient pas compte des motivations intrinsèques.
  • Le Behaviorisme : lorsqu’on exerce un stimuli sur un individu, alors on obtient une réaction. Cette théorie est plus connue par son application de la carotte et du bâton.
  • La Pyramide des besoins de Maslow : Chaque individu va chercher à assurer ses besoins : besoins physiologiques, besoin de sécurité, besoin d’appartenance, besoin d’estime et besoin de s’accomplir.
  • La théorie de l’autodétermination : les besoins majeurs pour un individu sont : le besoin d’appartenance, le besoin de compétence et le besoin d’autonomie dans ses choix et actions. A partir de ces derniers, on peut définir deux catégories : les besoins intrinsèques, profonds et les besoins extrinsèques qui résultent d’une action extérieure comme une récompense.
  • La théorie des facteurs clés de motivations que j’ai déjà abordé dans l’article suivant :etatmotivationnel Où est la motivation au travail ? Yves Duron et Zwi Segal décrivent différents facteurs de motivation et définissent un état motivationnel qui est le croisement entre l’engagement et la motivation; l’engagement envers l’entreprise et la motivation envers leur travail. Ce qui donne le cadran ci-contre. L’idée ici est donc de garder les employés le plus longtemps possible dans le cadran de l’histoire d’amour où l’engagement envers la société est à son maximum et où la motivation envers son travail est aussi à un niveau élevé. Le cadran histoire d’amour est en réalité plus petit que les 3 autres.

La motivation des employés dépend aussi de l’époque où il sont nés et des avancées technologiques liées à celle-ci. On évoque ainsi différentes générations : Les baby boomers, les générations X, Y, Z qui ont des aspirations qui diffèrent. La générations Y ou digital native dont les membres sont nés entre les années 1980 et 1990, à la recherche de sens et les représentants de la génération Z qui arrivent dans la vie active,  constitueront bientôt 40% des employés. Quel est donc le système ou la solution qui pourra motiver ces derniers ?  La réponse dans un prochain article 😉

Liens et Références :