La rétrospective est le rituel SCRUM d’amélioration continue des équipes qui se base sur cette représentation communément connue à tort (cf cycle de Shewhart) sous le nom de roue de Deming ou PDCA : Plan, Do, Check, Act (Planifier, Développer/Réaliser, Contrôler/Vérifier et Ajuster/Améliorer en français). J’ai rencontré des équipes qui avaient tendance à négliger ce rituel, le trouvant trop long ou le sacrifiant sur l’hôtel de la productivité lorsque celles-ci n’avaient plus le temps de réaliser les fonctionnalités du produit ou encore lorsque leur performance n’était plus à la hauteur de leur engagement. Plusieurs raisons peuvent expliquer le fait que les équipes ne perçoivent pas la valeur de la rétrospective et parmi celles-ci, nous pouvons énumérer les suivantes:
- L’équipe n’a pas compris le sens du rituel
- Les actions issues de la rétrospective sont trop grosses pour être facilement réalisées
- Les solutions apportées sont perçues comme des pansements
- Les actions ne sont pas suivies dans le temps
- (…)
Je pourrais encore continuer cette énumération mais je souhaite surtout porter votre attention sur les deux premières qui sont le sens de ce rituel et la taille des actions.
Le sens de la rétrospective
La rétrospective est donc le rituel SCRUM dédié à l’amélioration continue d’une équipe. Mais pour être plus précis, ce rituel va chercher à modifier la façon dont l’équipe travaille. En changeant sa façon de travailler, l’équipe va donc agir sur le système. Mais pourquoi s’intéresser au système et non aux individus ?
Une première partie de la réponse pourrait être qu’une équipe est définie par les relations entre les individus. Lorsqu’une personne rejoint une équipe, cela influence les relations entre tous les membres de l’équipe. Il en est de même lorsqu’un membre de l’équipe la quitte. Pour approfondir sur le sujet, vous pouvez lire « Coaching d’équipe » d’Alain Cardon (polarisation, circularité, rôles délégués…) ou encore vous référer au modèle de Tuckman qui explique les différents états d’évolution d’un groupe. On comprend donc qu’il va falloir agir sur les relations entre les personnes en considérant l’équipe comme un tout, comme un système. Modifier la relation entre deux membres de l’équipe aura des répercutions sur les relations de tous les membres de celle-ci.
Deming dans son expérience des « Red Beads » nous donne un deuxième élément de réponse. L’expérience est la suivante : dans un bac, mélangez 3200 billes blanches qui représentent les résultats attendus avec 800 billes rouges qui modélisent les défauts. Convoquez plusieurs personnes dont les rôles sont les suivants :
- Les employés, au nombre de 6, dont la tâche est, à l’aide d’une planchette de bois percée, de récupérer 50 billes du bac en s’arrangeant pour avoir le moins de billes rouges possible dans l’échantillon.
- Les inspecteurs, au nombre de 2, dont la tâche est de compter les billes rouges présentes sur la planchette de bois.
- L’inspecteur général qui motive et contrôle le travaille des troupes
- Le scribe ou comptable qui enregistre les résultats et effectue le total des essais des employés.
- Des actionnaires qui investissent dans l’entreprise.
Faîtes leur alors jouer un jeu de rôle avec un processus très précis de récupération des billes dans le bac en effectuant une certaine pression sur les employés. Les meilleurs employés, qui remontent le minimum de billes rouges, sont récompensés et les moins bons sont licenciés.
Deming reproduit dans cette démonstration, ce qui pourrait se passer à l’échelle d’une entreprise. Parmi les nombreux constats et leçons que nous pouvons retirer de cette expérience :
- Les performances ne dépendent pas des employés mais du rapport du nombre de billes rouges et blanches. En effet, un employé qui avait de bons résultats peut ensuite avoir des résultats moins bons alors qu’il s’y prend exactement de la même manière pour extraire les billes.
- Rien ne sert d’essayer de jouer sur la motivation des employés ou encore en agissant sur une cause locale en leur indiquant de manière précise comment récupérer les billes. C’est le système qui impose les résultats obtenus.
Mais surtout, l’expérience ne dépend pas des personnes choisies pour celle-ci. Et c’est là que cela devient intéressant. En effet, pour pouvoir améliorer la façon de travailler, il faut agir sur le système, de façon globale.
Ce point de vue est aussi partagé par Peter Senge dans la « cinquième discipline« .
Dans les enseignements du jeu de la bière, ce dernier nous indique que la structure influence le comportement : « Des personnes différentes placées dans une même structure tendent à produire des résultats similaires… Plus souvent qu’on ne le croit, ce sont les systèmes qui produisent leurs propres crises, et non les forces extérieures ou des erreurs individuelles. » La structure ici, est une structure systémique; c’est en fait la dynamique de relations au sein d’un groupe et qui influence son comportement. Dans un système, l’effet de vos décisions dépasse les limites de votre propre position, votre succès dépend de tous les acteurs du système. Néanmoins, des petites actions locales peuvent permettre de modifier le système de façon globale. La méthode des petits pas est aussi connue par le concept japonais KAIZEN est la fusion de 2 mots KAI et ZEN qui signifient « changement » et « meilleur ».
Mais pourquoi faire des petits pas et non pas de grands changements ?
- Parce qu’on se sent moins impuissant à réaliser de petites actions : Face à de petites actions, on se sent moins impuissant et le sentiment d’angoisse lié à l’échec est moindre. On évite les réactions du genre : « C’est trop dur, je n’y arriverai jamais »
- Parce que ceci génère une satisfaction rapide : il est plus facile de réaliser de petites actions que des actions longues et compliquées. Le résultat associé aux petites actions se voit souvent assez rapidement. Ceci renforce la maîtrise et génère de la satisfaction.
- Parce qu’on apprend plus vite : les petites actions sont moins coûteuses à mettre en place, le risque associé est donc moindre. Si vous vous trompez sur une action sur laquelle vous avez dépensé peu d’énergie, vous serez davantage disposé à revenir en arrière pour pivoter. Un exemple à l’échelle d’un produit est le MVP (Minimum Viable Product)
- Parce que les petites actions génèrent moins d’opposition : C’est l’histoire de la grenouille qu’on ébouillante selon Peter Senge : Si on plonge une grenouille dans une marmite d’eau et qu’on augmente petit à petit la température de l’eau, celle-ci s’ébouillantera en restant dans l’eau. A contrario, si vous la plongez dans une marmite bouillante, celle-ci fera tout ce qu’elle peut pour en sortir. En systémique, les petites actions déclencheront à priori des boucles de rétroactions de type régulateur moins importantes que les grosses. En simplifiant l’explication de ces effets régulateurs, on peut définir ceux-ci comme des actions engendrées par le système et visant à rétablir l’équilibre ; c’est à dire que ces actions auront des effets inverses à celles que vous avez engagées.
- Parce que les petites actions peuvent faire boule de neige : toujours en systémique, les petites actions peuvent produire un effet d’amplification. Le rapport entre l’énergie dépensée et le résultat sera encore plus important et ceci augmentera encore davantage la satisfaction.
Les boucles de rétroactions de type régulateur (actions contraires) ou amplificateur (boule de neige) peuvent souvent être accompagnées d’un effet retard ; c’est à dire que les effets de celles-ci ne sont visibles qu’après un certain délai. Lorsque vous réalisez des actions de rétrospective, il est parfois bon d’attendre un peu ou de répéter l’action suffisamment avant de tirer des conclusions trop hâtives et de pivoter.
Le Scrum master et les équipes doivent garder en tête que la rétrospective est leur chance de rester acteurs du changement et de faire évoluer le système de manière globale. Ceci est rendu possible grâce à de petites actions et aux mécanismes systémiques de régulation et d’amplification.
Liens et références :
- La cinquième discipline de Peter Senge : https://amzn.to/2Am1yxd
- roue de Deming Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Roue_de_Deming
- ShewHart : https://fr.wikipedia.org/wiki/Walter_A._Shewhart
- Sur les traces de Deming : http://www.fr-deming.org/GPrat.pdf
- Coaching d’équipe d’Alain Cardon : https://amzn.to/2Ro29Zc
- Deming – Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/W._Edwards_Deming
- Expérience des « Red Beads » : https://www.youtube.com/watch?v=7pXu0qxtWPg
- Peter Senge – Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Peter_Senge
- Modèle de Tuckman
- KAIZEN – Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Kaizen